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CARNET DE NOUVELLES
15 janvier 2010

VENGEANCE...

Nouvelle présentée au concours SkyProd, 

Novembre 2009 - Pas primée

Thème : "La vengeance"

 

L’orphelinat brésilien était vétuste.

Dans la grande salle rectangulaire qui servait de dortoir aux nourrissons, une vingtaine de petits lits à barreaux vides s’alignait, en un ordre parfait, de chaque côté des murs. Sur chacun d’eux, une couverture rose mettait un peu de gaieté si bien qu’en pénétrant dans la pièce, elle ne vit que l’atmosphère générale de ce rose-là. Un crucifix veillait, sur un mur nu chaulé de blanc, au-dessus d’une table de bois qui servait aux changes. Une grande fenêtre ouverte éclairait et aérait la pièce. C’était le matin.

Dans le dernier petit lit, tout au fond de la pièce, seul et désespéré un enfant pleurait de façon monocorde, comme si tout espoir l’avait quitté d’être un peu entendu. Un tout petit enfant de six semaines qu’une bonne âme avait mis près de la fenêtre pour qu’il n’eût pas trop chaud. Mais il avait froid. Son misérable débardeur ne le protégeait pas, la couverture avait disparu et ses pauvres pieds glacés s’agitaient dans l’air tiède.

On lui montra que c’était Lui. De toute façon, il n’y en avait pas d’autres !

Il gisait là, loin de tout et de tous, abandonné à son sort et à son désespoir de nourrisson.

Elle approcha et se pencha. Sa première réaction fut qu’il était laid. Très laid. Son petit visage simiesque déformé par les larmes, elle le crut trisomique. La tête en arrière, il remuait en tous sens, son corps et ses membres agités de soubresauts. Elle comprit mieux quand elle vit la couche souillée qui couvrait ses minuscules fesses. Elle le prit dans ses bras et le posa sur la table pour le changer. Par instinct, elle avait apporté le nécessaire en lait, en liniment oléo calcaire et en crème pour bébé. Quand elle ôta la couche, elle manqua pleurer. Il avait les fesses en sang, rongées par l’acidité de ses excréments. Il hurla quand elle le toucha. Avec une infinie douceur, elle le nettoya au liniment et couvrit les plaies d’une bonne couche de crème cicatrisante. Il était maigre, si maigre… Il flottait dans couche propre… Ses petites côtes se dessinaient sous le « marcel ». Il crevait de faim. Dans sa bouche ouverte, elle reconnut les aphtes d’un muguet dont il devait souffrir quand il tétait. Petite chose douloureuse. Pauvre parmi les pauvres… La religieuse lui  avait bien dit que « personne ne voulait de ce bâtard ». Ni les brésiliens, ni les autres adoptants, personne... Il était trop moche, trop fragile, il pleurait tout le temps !… Elle mit ses minuscules mains autour de ses pouces et lui parla tendrement, afin que cessent les larmes. Mais il les lui retira et recroquevilla ses petits poings fermés sur sa poitrine. Elle sourit et pensa : « Tiens, déjà du caractère ! ». Sa voix apaisante, ses gestes calmes et le soulagement dû aux soins eurent enfin raison de lui, et il s’apaisa. Alors, elle plongea ses yeux dans le regard noir du nourrisson et y vit une étincelle de lumière. Comme une récompense. Elle se taisait, la religieuse crut à une hésitation et lui dit : « Tu n’es pas obligée de le prendre !… ». Mais elle le prit. En hâte elle l’enroula dans une des couvertures roses et demanda qu’on lui prépare un biberon de lait. Puis elle quitta l’orphelinat, emportant avec elle son enfant, serré contre son cœur.

 ***

Elle alluma son poste de télévision sur un reportage qu’elle ne voulait pas manquer. Sur l’écran, un sportif d’environ vingt-cinq ans, au corps fuselé et athlétique répondait avec amabilité à des journalistes. Il était beau, mais pas seulement. Son visage, ses grands yeux sombres aux longs cils noirs, son sourire aux dents parfaites, sa brune chevelure d’épaisses boucles souples, sa peau dorée par le soleil et la génétique, tout en lui respirait le bonheur et la réussite… Sûr de lui, il s’exprimait simplement, sans prétention, avec une intelligence et une courtoisie qui dénotaient sa culture et sa bonne éducation. Il était brillant, adulé par le public, par les journalistes, par les femmes… Le succès l’avait enrichi, mais il n’oubliait pas sa modeste origine. C’était un homme bien.

Elle le regardait avec, sur les lèvres, le sourire satisfait du devoir accompli. Pas un devoir, non, pas un devoir mais une immense joie. Elle le trouvait si beau, si parfait… Oui, si parfait... Son fils. Une larme roula sur sa joue.

- Comme il est loin l’orphelinat brésilien !… Si tous ces gens, qui ne donnaient pas cher de ta peau, te voyaient, là, maintenant !…

Et elle pensa avec satisfaction que oui… sans aucun doute… la vie s’était bien vengée ! 

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